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TROIS nuits et trois jours avaient passé. Rohana avait cessé de redouter une poursuite ou un enlèvement. Si on s’était lancé à leur poursuite, on s’était trompé de direction ou bien elles avaient définitivement distancé leurs poursuivants. Il se pouvait aussi que Melora eût raison et que les héritiers de Jalak, en le trouvant mort ou complètement estropié, se soient empressés de partager les femmes et les biens qu’il laissait.

Peu à peu, le caractère du paysage s’était modifié : après le décor de sable sec, brûlant et corrosif des premiers jours, ponctué uniquement de quelques arbrisseaux épineux et broussailleux ainsi que de canneliers au feuillage doux et léger, on apercevait désormais de vastes étendues de dunes vierges de toute piste, basses et ondulées, couvertes des fougères grisâtres des Terres Sèches avec çà et là, un affleurement escarpé de roche noire. On dirait que lorsque Zandru a créé les Terres Sèches, les rochers eux-mêmes se sont révoltés, ont percé leur calotte protectrice et se sont poussés vers le haut dans leur rébellion, se dit Rohana en se rappelant l’ancienne légende. Comme si l’ossature même du monde refusait d’être recouverte de ces vastes espaces arides de désert et de sable…

Le crépuscule approchait ; la férocité du soleil était tempérée par l’ombre grandissante. Tout au long de la journée, les Amazones n’avaient surpris aucune trace de vie et Kindra leur avait conseillé de ne pas trop boire d’eau à leurs gourdes.

— Si nous étions retardées pour une raison ou pour une autre, leur avait-elle dit en enveloppant Melora d’un regard pénétrant, nous risquerions de ne pas atteindre le prochain trou d’eau cette nuit… Et nous ne pouvons pas transporter trop de réserves d’eau.

Melora chevauchait devant elle, tête basse, se raidissant de toutes ses forces sur la selle. Elle n’avait pas dit un seul mot depuis que la troupe avait quitté le lieu où elles avaient fait halte à midi. Et quand Rohana avait voulu lui tâter le front pour voir si elle avait de la fièvre, elle s’était détournée, refusant de se laisser toucher, refusant même de rencontrer le regard scrutateur de sa cousine. Celle-ci était terriblement inquiète à son sujet. Ce voyage était beaucoup trop long, beaucoup trop pénible pour une femme enceinte. Melora ne s’était pas plainte. Et Rohana eut la sensation horrifiante qu’elle ne se souciait plus de rien. Elle semblait avoir épuisé toute l’énergie dont elle était capable en établissant la première communication qui avait abouti à son sauvetage. Maintenant que c’était chose faite, on avait l’impression que Melora s’en moquait. Elle avait même cessé de poser des questions sur sa maison, sur sa famille et sur ce qui les attendait lorsqu’elles auraient quitté le territoire des Terres Sèches et seraient de retour dans les Domaines.

Le grand globe couleur de sang du soleil déclina à l’horizon, estompé par les premiers nuages que Rohana ait vus depuis qu’elles avaient traversé le fleuve à Carthon. Kindra, en tête de la troupe, laissa Rohana arriver à sa hauteur et montra du doigt le coucher de soleil empourpré.

— Les nuages qu’on voit là-bas, flottent au-dessus de Carthon. Et passé Carthon, on sera à nouveau dans les Domaines. Même si Jalak arrivait jusque-là, il lui faudrait venir avec une armée. Là-bas, nous serons en sécurité. Comment va Dame Melora ?

— Assez mal, je le crains, répondit laconiquement Rohana.

Kindra hocha la tête.

— Je serai heureuse pour elle quand nous traverserons le fleuve et quand on pourra adopter une allure plus conforme à son état. Cela me contrarie de forcer l’allure de cette façon, mais aucune d’entre nous n’est en sécurité dans ce pays.

— Je le sais. Et je suis sûre que Melora comprend. Elle connaît, mieux qu’aucune de nous, les dangers que courent les femmes des Domaines dans ce pays.

— Bon. On va dresser le campement un peu plus loin, par là. (Kindra désigna un grand amas de rochers noirs qui se dressaient, telle une dent déchiquetée, et se profilaient contre l’horizon bas.) Là-bas, si la Déesse est bonne pour nous, on cuisinera quelque chose de chaud ; on pourra peut-être même laver la poussière qu’on a sur le visage.

— Est-ce que vous connaissez tous les trous d’eau de ce territoire, Kindra ?

L’Amazone secoua la tête.

— C’est la première fois que je viens par ici, mais je peux voir les Kyorebni tourner en rond, comme ils le font seulement quand il y a de l’eau. Demain, avant midi, on pourra peut-être traverser le fleuve à gué et se retrouver saines et sauves à Carthon. (Elle fit une grimace.) J’ai faim de viande chaude rôtie et de bonne soupe chaude, au lieu de cette éternelle bouillie d’avoine accompagnée de viande séchée et de fruits. Et j’aimerais bien un peu de pain frais ; cela me changerait de nos biscuits secs.

— Je suis de votre avis, fit Rohana. Et croyez-moi, je me porterai garante pour le meilleur repas qu’on pourra acheter dans la meilleure rôtisserie de Carthon, dès qu’on aura franchi le fleuve !

Kindra jeta un coup d’œil derrière elle.

— Priez votre Déesse pour que Domna Melora puisse jouir de ce repas, Madame, dit-elle lentement. Retournez auprès d’elle, Dame Rohana, et dites-lui pour la tranquilliser qu’on va dresser un campement un tout petit peu plus loin. Elle semble sur le point de tomber de sa selle.

Son visage, dans l’obscurité croissante, trahissait une profonde inquiétude.

Rohana obéit aux consignes en soupirant. Il lui semblait qu’à aucun moment de sa vie, elle n’avait été aussi longtemps et aussi continuellement fatiguée. À la pensée de dormir dans un lit sous un toit, de manger des aliments frais, cuisinés et chauds, de se plonger dans une baignoire pleine d’eau chaude parfumée, à la pensée de ce confort qui lui avait toujours paru si naturel qu’elle n’y avait même jamais songé, elle se sentait comme brisée par un désir ardent et presque sensuel.

Elle supposa qu’aux yeux des Amazones, un tel désir serait tenu pour une preuve de mollesse et de faiblesse. Eh bien, elle leur montrerait qu’elle pouvait supporter la vie à la dure s’il le fallait. La Comynara qu’elle était serait aussi forte qu’un homme de sa caste. Mais elle aurait souhaité un peu plus de confort pour Melora.

Celle-ci chevauchait à côté de la Grosse Rima.

— Occupez-vous de votre cousine, Madame, lui dit l’imposante Amazone en baissant la voix. Non, elle ne s’est pas plainte, mais pendant quelque temps, j’ai gagné ma vie comme sage-femme dans la Région des Lacs et elle a une mine qui ne me plaît pas.

Il est bon de savoir qu’il y a une sage-femme parmi nous, à tout le moins. Rohana amena son cheval à la hauteur de celui de Melora. Celle-ci releva la tête, lentement, péniblement. Et son expression choqua Rohana. Son visage enflé était d’une pâleur terne. Ses lèvres elles-mêmes étaient décolorées. Elle essaya de sourire à sa cousine, mais n’y parvint pas tout à fait. Son visage se crispa sous l’effet d’une douleur spasmodique et Rohana devina aussitôt ce qu’elle s’était efforcée de dissimuler.

— Breda, tu es en travail ?

Melora fit la grimace.

— Depuis plusieurs heures, je le crains, dit-elle en manière d’excuse. J’avais espéré qu’on pourrait atteindre un lieu de campement avec de l’eau à proximité. J’ai très soif, Rohana, ajouta-t-elle.

C’était le premier semblant de plainte qui franchissait ses lèvres.

Rohana se pencha et prit les mains de sa cousine dans les siennes.

— Il y a de l’eau tout près d’ici, ma chérie. Peux-tu rester à cheval encore un peu et faire quelques centaines de mètres de plus ? Tu vois ? (Elle désigna du doigt un point dans la demi-obscurité.) Il y a déjà une ou deux Amazones en train de descendre de cheval. Tu les vois, là-bas ? Écoute. J’entends rire Jaelle.

— Elle est comme un petit animal échappé de sa cage, dit doucement Melora. Je suis si heureuse que ces femmes se montrent aussi bonnes pour elle. Pauvre petit lapin, j’ai eu si peu de forces pour m’occuper d’elle, pendant ce voyage…

— Je suis sûre qu’elle comprend, dit gentiment Rohana.

— J’espère bien que non, coupa Melora.

Dans la nuit grandissante, son visage se crispa. Elles approchaient de l’endroit où les autres mettaient pied à terre. De nouveau, Rohana entendit le rire gai et léger de Jaelle. Au cours de ces quelques journées de voyage, la fillette avait rapidement conquis les faveurs de toutes les Amazones. Elle riait, jacassait, posait un nombre infini de questions sur le monde et la vie qui l’attendaient. Les Amazones s’étaient disputé la faveur et le privilège de la porter sur leur selle quand elle était fatiguée ; elles lui gardaient les friandises et les morceaux de choix qu’elles parvenaient à prélever sur leurs maigres repas, lui racontaient des histoires et chantaient des chansons pour dissiper l’ennui du voyage. Elles lui confectionnaient même, de petits jouets et amusettes à partir de riens.

À défaut d’autre chose, nous avons libéré Jaelle. C’est une fille dont n’importe quels parents des Domaines pourraient s’enorgueillir. Le sang de Jalak constituera peut-être un handicap quand le moment sera venu de lui faire faire un bon mariage, mais ça n’a rien d’insurmontable. Elle a le laran, j’en suis sûre. Je la ferai mettre à l’épreuve dès notre arrivée à Thendara…

Rohana se laissa glisser à bas de son cheval, le confia à Rima qui venait pour l’emmener et aida tendrement Melora à descendre du sien. Les genoux de cette dernière fléchirent et Rohana dut soutenir sa cousine dans ses bras. Elle l’aida à rester debout, mais saisie d’une frayeur subite, appela Kindra. Au bout d’un moment, la cheftaine des Amazones émergea de l’ombre et jaugea la situation d’un seul regard.

— Le moment est donc venu, domna ? Bah ! on n’a que deux certitudes en ce bas monde : la naissance et la neige de l’hiver prochain. Les deux s’annoncent quand bon leur semble ; non quand ça nous arrange. Grâce à la Déesse, nous avons de l’eau à proximité. Dommage que nous ayons dû abandonner la tente. Aucun enfant ne devrait naître avec le ciel pour seul toit.

— Mieux vaut qu’il arrive sous un ciel pur que dans la Grande Maison de Jalak ! rétorqua véhémentement Melora et Kindra lui tint la main un moment.

— Pouvez-vous marcher un tout petit peu, Madame ? On va vous préparer un coin où vous pourrez vous reposer.

— Je peux le faire du moment qu’il le faut, répondit Melora.

Mais elle s’appuya de tout son poids sur Rohana et celle-ci fut étreinte d’une totale appréhension. Ici dans la nuit noire, dans le désert, sans l’aide d’aucune personne expérimentée… Rima avait peut-être été sage-femme, mais les Amazones Libres reniaient leur qualité de femmes…

— J’avais espéré que je pourrais tenir jusqu’à ce qu’on atteigne Carthon, dit Melora.

Rohana comprit que sa cousine partageait son malaise et sa crainte. Il lui fallait faire preuve de force et de confiance.

— Regarde, dit-elle tout en guidant les pas de Melora vers la flambée qu’on venait d’allumer. Elles font un feu. On va avoir de la lumière, un peu de nourriture chaude et il y a de l’eau à proximité. Et on a de la chance. Une de ces femmes était sage-femme, autrefois !

Elle fut consternée lorsqu’elle put voir sa cousine à la lueur du feu : elle avait les mains et les chevilles enflées, les yeux rougis et fiévreux. Elle aurait dû nous avertir il y a des heures. On aurait dû s’arrêter… Mais dans ce cas, l’enfant serait né sans eau à proximité…

Melora se laissa tomber avec gratitude sur la pile de couvertures que les Amazones avaient préparée pour elle. Pendant un moment, elle se cacha le visage dans les mains. Rohana l’entendit respirer bruyamment, avec un son rauque, comme un animal. Puis Melora releva la tête.

— J’ai soif, Rohana, dit-elle d’un ton plaintif. Peux-tu m’apporter à boire ?

— Bien sûr.

Rohana allait se lever, mais sa cousine se cramponna à ses mains.

— Non, non, reste avec moi… Est-ce que je t’ai raconté pourquoi j’ai compris brusquement qu’il fallait m’enfuir, emmener Jaelle ou la tuer moi-même avant que cet enfant ne naisse ?

— Non, ma chérie, tu ne me l’as pas dit…

— C’est quand je l’ai trouvée… en train de jouer avec les autres petites filles de Jalak. Elles s’étaient toutes, y compris Jaelle elle-même, attaché des rubans autour des mains et jouaient aux adultes. Dans les chaînes…

Rohana se sentit prise d’un frisson qui la glaça jusqu’aux os.

— Chérie, lâche-moi, dit-elle vivement. Je vais aller te chercher à boire. Est-ce que tu crois que tu pourrais manger un peu ?

Elle laissa Melora couchée sur la pile de couvertures et s’enfonça dans le noir près du trou d’eau, s’agenouillant pour rincer le gobelet, tremblante, heureuse de dissimuler son visage dans l’obscurité.

Au bout d’un moment, elle parvint à se dominer et revint.

— Dites-lui qu’on aura bientôt quelque chose de chaud à manger et à boire, lui dit Kindra, près du feu. Cela lui donnera peut-être des forces pour l’épreuve qui l’attend. Et je crois qu’on pourra s’éclairer à l’aide de torches, un peu plus tard, si besoin est.

Rohana réussit à la remercier. Elle revint s’agenouiller aux côtés de sa parente qui était couchée, les yeux clos, approcha le gobelet des lèvres de Melora qui le vida d’un trait, avidement.

— On va bientôt t’apporter quelque chose de chaud à manger, lui dit Rohana. Tâche de te reposer.

Elle continua à parler, en disant tout ce qui lui passait par la tête et en s’efforçant de prendre un ton encourageant. Au bout de quelques minutes, Melora avança la main pour interrompre ce flot de bavardage.

— Breda… (Elle utilisait ce terme casta au sens de sœur ; avec une inflexion intime, il signifiait également chérie.) Ne me mens pas. En souvenir de ce que nous avons été, jadis, n’essaye pas de faire semblant, comme si j’étais encore une étrangère. Que va-t-il arriver ?

Rohana considéra la malade, le cœur serré. Après tout, c’est toujours une Comyn, elle est toujours télépathe. Elle peut lire en moi si aisément.

— Que puis-je te dire, Melora ? Tu sais aussi bien que moi qu’aucune femme ne devrait voyager aussi loin et aussi vite à un stade de grossesse aussi avancé. Mais d’autres femmes ont survécu à des situations pires que celle-ci et ont vécu assez longtemps pour faire peur à leurs petites filles avec le récit de leurs épreuves. Et je serai avec toi.

Melora lui serra la main.

— J’aime mieux t’avoir toi, plutôt que cette sinistre vieille taupe qui m’a aidée à accoucher de Jaelle, dit-elle en se cramponnant aux doigts de sa cousine. Elle ne voulait même pas me libérer les mains. (Elle effleura du bout des doigts, d’un geste qui semblait né d’une longue habitude, les vilaines cicatrices de ses poignets.) Jalak m’avait juré que si j’accouchais d’un fils, il me donnerait tout ce que je voudrais, hormis ma liberté. Je songeais à lui demander la tête de cette femme.

Rohana frissonna et fut reconnaissante lorsque la Grosse Rima s’approcha d’elles.

— Voici ta sage-femme, dit-elle. Elle fera tout ce qu’elle peut pour toi, breda.

Melora leva les yeux vers elle. Elle était sceptique et passablement effrayée, Rohana le sentit.

— Je vous remercie, mestra, dit-elle cependant. (Et une fois de plus, Rohana eut le souvenir poignant de la jeune fille gracieuse et insouciante de jadis.) J’ignorais qu’une Amazone Libre pût choisir une profession aussi féminine.

— Ma foi, Madame, nous gagnons notre vie en exerçant n’importe quel travail honnête, dit Rima. Croyiez-vous vraiment que nous étions toutes guerrières et chasseresses ? La Maison de la Guilde de la ville d’Arilinn où j’ai reçu mon éducation est spécialisée dans la formation des sages-femmes. Et nous comparons tout ce que l’on sait des problèmes de la naissance, depuis Temora jusqu’aux Hellers, c’est pourquoi nous sommes les meilleures sages-femmes du pays. Même dans les grands Domaines, parfois, les femmes nous envoient chercher. Maintenant, Madame, laissez-moi voir où vous en êtes et combien de temps il faut vous préparer à attendre. (Elle s’agenouilla, palpant le corps de Melora avec des mains douces et expertes.) Bon. C’est un enfant robuste et un gros bébé, aussi.

Elle s’interrompit lorsque Jaelle accourut vers elles. Le visage de la fillette était altéré et blanc à la lueur du feu.

— Maman… oh ! maman !… s’écria-t-elle avant d’éclater en sanglots.

— Allons, mon enfant, intervint fermement Rima. Cela n’aidera pas ta mère. Tu es presque une femme, maintenant. Il ne faut pas te comporter comme un bébé et nous déranger.

Melora se redressa avec beaucoup de peine et se laissa aller lourdement sur Rohana.

— Viens ici, Jaelle. Non, laissez-la venir près de moi. Je sais qu’elle sera sage.

Luttant pour réprimer ses sanglots, Jaelle vint s’agenouiller à côté de sa mère. Melora l’étreignit violemment.

— Cela en valait la peine, dit-elle sans s’adresser à personne en particulier. Tu es libre, tu es libre !

Elle embrassa voracement le petit visage mouillé, maintes et maintes fois. Puis elle prit le menton tremblant de Jaelle dans sa main et contempla sa fille un long moment dans la lueur dansante du feu avant de parler.

— Il faut nous laisser, maintenant, ma chérie. Tu dois rester avec les autres femmes. Tu ne peux pas m’aider pour l’instant et tu dois me laisser avec les personnes qui le peuvent. Va, mon tendre amour, essaye de dormir un peu.

En larmes, Jaelle se laissa entraîner par Gwennis dans l’obscurité, de l’autre côté du feu de camp. On l’entendit longtemps sangloter doucement. Puis elle se calma et Rohana espéra qu’elle s’était endormie à force de pleurer. La nuit s’écoula lentement. Rohana resta avec Melora, lui tenant les mains, rinçant de temps à autre son visage en sueur avec de l’eau froide. Melora était silencieuse et patiente. Elle faisait ce qu’on lui disait, essayait de se reposer entre les contractions. De temps en temps, elle parlait un peu. Au bout d’un certain temps, Rohana comprit avec un grand frisson, que sa cousine divaguait et avait oublié l’endroit où elle se trouvait et ce qui se passait. Elle s’adressait à sa mère, morte depuis des années. Une fois, elle se releva en sursaut avec un cri perçant, proférant des jurons dans le langage de la Ville Sèche. À maintes reprises, elle éclata en sanglots, implorant ses geôliers de ne plus l’enchaîner. Elle ne cessait de hurler : « Mes mains ! Mes mains ! », tandis que ses doigts passaient et repassaient sur les cicatrices de ses poignets. Rohana écoutait en lui murmurant des paroles apaisantes ; de loin en loin, elle s’efforçait de faire une brèche dans ces divagations chuchotées… Si seulement Melora savait qu’elle est ici, qu’elle est libre, avec moi… Elle tenta, avec tout son talent de télépathe, de communiquer avec l’esprit de sa cousine, mais tout ce qu’elle put ressentir, ce fut l’horreur et une terreur prolongée.

Sainte Cassilda, mère des Domaines… Evanda,

Déesse de la lumière, Déesse de la naissance… Miséricordieuse Avarra… quelles souffrances a-t-elle dû endurer, quelle horreur elle a dû connaître…

Aucune des autres femmes ne dormait, bien que Kindra leur eût ordonné à toutes d’aller se coucher. Rohana pouvait sentir leur vigilance, leur anxiété, comme une vibration palpable dans l’air… Dans de semblables circonstances, c’est une malédiction de déchiffrer les pensées des autres…

Une fois, alors que Melora s’était endormie un moment, épuisée, Rima croisa le regard de Rohana par-dessus le corps douloureux de sa cousine et eut un bref hochement de tête. Rohana ferma les yeux un instant. Pas encore ! Ne perdez pas encore espoir !

— Elle n’a plus de forces pour se libérer de l’enfant, je pense, dit Rima avec pitié. Il ne nous reste qu’à attendre…

Rohana comprit soudain que si elle restait là une seconde de plus, elle allait se mettre à pousser des cris hystériques et à éclater en sanglots.

— Je reviens dans un moment, dit-elle d’une voix blanche.

Elle se leva, s’éloigna précipitamment, contourna le feu de camp et se dirigea vers les latrines rudimentaires que les Amazones creusaient dans leurs campements. Elle s’appuya contre la roche dure, cachant son visage et luttant pour ne pas vomir ou ne pas crier. Au bout d’un moment, lorsqu’elle se fut un peu ressaisie, elle alla jusqu’au feu où l’on avait laissé un pot plein de cette boisson chaude à base de céréales fermentées que les Amazones consommaient à la place du thé d’écorce ou jaco. La boisson frémissait. Elle y plongea une tasse et but à petites gorgées, luttant pour retrouver son sang-froid. Kindra, grande silhouette presque invisible dans la nuit, s’arrêta et lui mit une main sur l’épaule.

— Ça ne va pas, Madame ?

— Non, pas du tout. (Un instant, Rohana eut la sensation que le breuvage chaud et amer allait la faire suffoquer.) Melora n’est pas… de ces femmes qui accouchent facilement. Et ici, sans l’assistance de personnes qualifiées, au bout de tant de souffrances, après ce dur voyage… Sans soins, sans confort…

Kindra poussa un soupir qui semblait issu du plus profond de son être.

— Je suis désolée, vraiment désolée. Il est cruel de penser qu’elle ait dû souffrir autant pour sa liberté et ne survive pas pour en jouir, après avoir montré tant de courage. Et le fait de savoir que même si son enfant naît et vit, il n’y aura personne pour lui donner le sein ou pour prendre soin de lui, doit accroître terriblement ses souffrances.

Rohana sentit monter en elle, sans qu’elle pût le contrôler, un ressentiment inconnu d’elle, contre ces femmes qui avaient choisi de s’épargner les souffrances des autres femmes. Elle dut se retenir avec force pour ne pas jeter le contenu bouillant de sa tasse à la tête de l’Amazone plus âgée.

— Oh ! vous ! jeta-t-elle avec aigreur. Qu’est-ce que vous en savez, de cette peur qu’on ressent pour un enfant ?

— Ma foi, j’en sais aussi long que vous, Madame, répondit Kindra. J’ai eu quatre enfants avant d’avoir vingt ans. On m’a mariée très jeune et mon premier enfant est mort avant que j’aie pu le mettre au monde. Les sages-femmes ont dit qu’il valait mieux pour moi ne pas essayer d’en porter un deuxième. Mais mon mari était impatient d’avoir un héritier. Mon second et mon troisième enfant étaient des filles et il fulminait contre moi. J’ai frôlé la mort de près avec le quatrième. L’accouchement a duré trois jours. Et cette fois, au lieu de m’abreuver d’insultes, c’est de cadeaux et de bijoux qu’il m’a couverte lorsqu’il a vu notre fils. J’ai compris alors que le destin d’une femme, dans notre monde, était totalement maudit. Je n’avais aucune valeur. Les filles que je lui avais données, au péril de ma vie, n’avaient aucune valeur. Je n’étais rien qu’un instrument destiné à lui donner des fils. C’est pourquoi, quand j’ai pu remarcher, j’ai laissé mes enfants endormis, une nuit. J’ai coupé mes cheveux et j’ai dû me rendre toute seule à la Guilde des Amazones Libres. C’est là que ma vie a commencé.

Rohana la contempla fixement avec des yeux horrifiés. Elle ne trouvait rien à dire.

— Mais… mais tous les hommes ne sont pas comme ça, Kindra, parvint-elle à balbutier.

— Non ? fit Kindra. Je me réjouis que vous ne les ayez pas jugés ainsi, Madame. Mais c’est un hasard et une chance, rien de plus. Chut ! ajouta-t-elle après avoir jeté un coup d’œil au ciel rougeoyant.

Elle prêta l’oreille aux bruits qui s’étaient modifiés en l’espace de quelques minutes. Les longs soupirs patients avaient fait place à des halètements saccadés et âpres, à de brefs grognements rauques sous l’effort.

— Allez auprès d’elle, Madame, dit rapidement Kindra. Ça ne sera plus long, maintenant.

Le ciel était assez clair, désormais. De sorte qu’en venant s’agenouiller au côté de Melora, Rohana put voir son visage, trop tendu et enflé, tandis qu’elle luttait, pantelante, pour retrouver son souffle.

— Rohana… Rohana… promets-moi…

— Ne parlez pas, mon petit, intervint Rima d’un ton impérieux. Faites attention, maintenant. Respirez longuement et à fond et retenez votre respiration. Allons, mon petit. C’est bien. Encore une fois, à fond et longtemps. Maintenant, poussez… allez-y, cramponnez-vous, contentez-vous de pousser…

Rohana laissa Melora lui prendre les mains et s’y cramponner avec l’énergie de l’angoisse, tandis que l’inexorable processus de la naissance s’emparait de son corps qui se tordait sous les contractions.

— Allons-y, maintenant, ma douce, voilà une bonne fille ; on pousse encore un bon coup, à fond maintenant, psalmodia alors Rima en adoptant ce ton monocorde qui semblait être commun à toutes les sages-femmes, de l’avis de Rohana. C’est bien ça, c’est une bonne fille, allons-y maintenant. Encore un petit peu…

Rohana sentit les ongles de sa cousine s’enfoncer dans sa main. Elle se tordit de douleur. Tout entière ouverte à Melora. elle ressentit la violente douleur qui lui déchirait le corps et, comme sa parente, en eut le souffle coupé. Trop, c’est trop… C’est pire que lorsque Kyril est né… Elle sentit le cri sourd que réprimait Melora. Gabriel est resté avec moi, songea-t-elle, consternée. Maintenant, je sais ce qu’il a éprouvé… Je sais maintenant qu’il a partagé mes souffrances. Je n’ai jamais compris… Trop, c’est trop…

Elle sentit la douleur se dissiper, sentit Melora se détendre un moment.

— Allons-y maintenant, ordonna Rima d’un ton péremptoire. Respirez à fond, préparez-vous pour la prochaine contraction. Encore quelques bonnes poussées comme celle-là et ce sera fini.

Mais Melora, ignorant ce que l’Amazone lui disait, s’agrippa à Rohana.

— Rohana, promets-moi… promets-moi… si je meurs… de t’occuper de mes enfants. Mon bébé, prends mon bébé…

Elle suffoqua et son corps s’arqua à nouveau sous l’emprise de la douleur violente et déchirante. Rohana était incapable de parler. Elle chercha donc à communiquer à nouveau avec Melora en s’adressant directement à son cerveau.

Je le jure, ma chérie, sur sainte Cassilda et sur le Seigneur de la Lumière… Ils seront comme mes propres enfants. Et que les Dieux me frappent si je fais la moindre différence entre eux et les enfants nés de mes entrailles…

— Merci, murmura Melora. Je le savais…

Elle s’effondra à nouveau.

Par-dessus son visage, noir de sueur, la Grosse Rima leva les yeux et Rohana croisa le regard de Kindra.

— Je ferais mieux d’aller chercher Jaelle maintenant, dit calmement cette dernière.

Rohana redressa la tête, révoltée. Elle considéra le corps gonflé et inconscient, le sang qui se répandait, sentit l’atroce douleur s’emparer à nouveau de Melora et recula elle-même devant cet assaut terrifiant du corps et de l’esprit.

— Comment pouvez-vous ? s’écria-t-elle, en proie à une violente indignation. Est-ce un spectacle pour une petite fille ?…

— C’est son droit, Madame, répondit Kindra, inflexible, mais avec douceur. Aimeriez-vous dormir pendant que votre mère est sur son lit de mort ? Ou essayez-vous encore de vous mentir, Dame Rohana ?

Elle n’attendit pas la réponse de la noble Comyn. Celle-ci, à genoux, laissa Melora lui étreindre les mains avec la force de l’agonie, sans se soucier des ongles de sa parente qui s’enfonçaient dans sa chair jusqu’au sang. Elle fut à nouveau la proie de cette terreur passagère qu’elle avait éprouvée au moment crucial de ses propres couches. Brisée, déchirée, transpercée, désintégrée… agonisante. Elle lutta pour s’abstraire un peu de la douleur de Melora afin de lui communiquer une certaine énergie, de lui apporter un appui auquel l’accouchée pourrait se cramponner en dehors de son agonie et de sa peur. Elle étreignit Melora en lui murmurant des mots tendres.

— On est avec toi, chérie, chuchota-t-elle. On est ici, on va prendre bien soin de toi…

Mais elle ne savait pas ce qu’elle disait.

Pour la première et la dernière fois, Melora poussa un cri aigu, un cri long et terrible d’angoisse et de terreur. Alors, juste au moment où le soleil se levait, un autre bruit rompit le silence tragique : un son étrange, déchirant, strident : le hurlement de plus en plus aigu d’un nouveau-né.

— Evanda soit louée, dit Rima en soulevant l’enfant nu et sanglant par les pieds. Ecoutez comme il est fort ! Je n’ai pas eu à le claquer pour l’amener à la vie, celui-là !

— Donnez-le-moi, chuchota Melora d’une voix presque inaudible.

Elle tendit les bras vers le bébé et son visage se transforma. Le miracle infaillible, se dit Rohana. Toujours, si dure et si redoutable qu’ait été la naissance, il y avait ce moment de joie, lorsque le visage changeait d’expression, s’éclairait et rayonnait. Melora a l’air si heureuse, si heureuse… Comment peut-elle ? se demanda Rohana, oubliant quel avait été son propre bonheur. Rima enveloppa le bébé dans une serviette propre qu’elle avait préparée et le posa sur le ventre flasque de Melora.

— Voilà un garçon qui poussera bien, dit-elle d’un ton prosaïque.

— Le fils de Jalak, murmura Melora et son joyeux sourire s’évanouit. Que va-t-il advenir de lui, pauvre petit ?

— Madame…, la réprimanda brusquement Rima.

Melora tendit les bras.

— Jaelle, dit-elle. Jaelle… Viens ici. Embrasse-moi… Oh ! Jaelle !…

Rima poussa un cri de consternation. Un flot de sang jaillit et Melora soupira avant de tomber à la renverse sur sa couche, le visage blanc et sans vie. Il n’y eut plus alors aucun bruit sous le soleil levant, hormis les pleurs des deux orphelins de Melora.

 

— Allez-vous vraiment élever le fils de Jalak, Dame Rohana ? s’enquit Kindra.

Le soleil était haut dans le ciel. Jaelle qui avait pleuré jusqu’à l’épuisement, était étendue sur le sable entre les deux femmes, prostrée, comme un petit animal crotté. Rohana était à demi assise, à demi allongée contre un tas de sacoches. Elle avait enveloppé le bébé nu et l’avait fourré à l’intérieur de sa tunique, contre ses seins, où il se tortillait et se blottissait, plein de vie déjà et cherchant à se nourrir sans savoir que cela lui serait refusé. Rohana tapota tendrement le petit paquet chaud.

— Que puis-je faire d’autre, Kindra ? J’ai juré à Melora que je traiterais ses enfants en tout point comme les miens.

— C’est un mâle de la race de Jalak, répliqua Kindra avec âpreté. Est-ce que le sang de vos proches et celui de votre frère ne crie pas vengeance et ne vous interdit pas de le chérir ? N’êtes-vous pas séparée du fils de Jalak par un conflit sanglant et par une mort, Madame ? (Elle tira son couteau de sa gaine et le tendit à Rohana par la garde.) Cet enfant a coûté la vie de Melora ; elle n’a jamais connu la liberté qu’elle avait si chèrement acquise… Et c’est le fils de Jalak. Faites justice pour vos proches, Madame…

Glacée, malade d’horreur, Rohana comprit que Kindra exprimait la vérité pure et simple. Les hommes des Domaines d’Ardaïs et d’Allard se seraient fait l’écho de ces propos. Le fils de Jalak devait payer pour les crimes de son père.

Elle sentit l’enfant bouger contre son corps, chaud et robuste. C’est l’enfant de Melora. Et je l’ai ramassé sur son cadavre. Elle regarda Jaelle, couchée en chien de fusil à côté d’elle, les yeux fermés en signe de refus. Elle a Jalak pour père, elle aussi. Doit-elle payer ?

— Rohana, il mourra, quoi que vous fassiez maintenant, reprit Kindra d’un ton convaincu. Il n’y a pas de nourrice pour lui, pas de nourriture, pas de soins appropriés. Ne vous torturez pas pour lui. Laissez-le et couchez-le ici, à côté de sa mère.

Lentement, Rohana fit non de la tête. Elle rendit son couteau à l’Amazone en la regardant bien en face.

— Le sang versé et la vengeance, c’est bon pour les hommes, Kindra. Je suis heureuse d’être une femme et de ne pas être liée par une loi aussi cruelle. Que ce soit la vie de cet enfant et non sa mort qui nous dédommage de la mort de mon frère. Le clan Ardaïs a perdu un fils avec Valentin, ce tout petit garçon s’appellera donc Valentin. (Elle imposa les mains sur le petit corps en train de se tortiller, comme dans un rite.) Ce sera le fils adoptif du clan Ardaïs, il prendra la place de celui qui est mort des mains de Jalak.

Kindra remit son couteau en place et leva la tête avec un sourire railleur.

— Bien parlé, Madame, dit-elle. Une Amazone dirait la même chose, en vérité. Mais je ne m’attendais pas à ce que vous preniez la liberté de refuser les lois de votre clan et de votre caste.

— J’espère que je me sentirai toujours libre d’ignorer une loi aussi cruelle ! affirma Rohana avec passion. Il se peut qu’il meure, comme vous dites. Mais ce ne sera pas de mes mains et cela n’arrivera pas si je peux l’empêcher !

Kindra hocha la tête.

— Ainsi soit-il, dit-elle. Je vais parler à Rima. Elle a déjà nourri d’autres orphelins avant celui-ci. Nos femmes meurent parfois en couches, elles aussi, et Rima est habile. Elle connaît tous les secrets de la Maison de la Guilde à Arilinn. (Elle se leva.) Je connais un autre enfant de Melora qui a besoin de nos soins. Occupez-vous d’elle, Madame.

L’Amazone alla rejoindre ses compagnes qui étaient en train d’enterrer Melora dans la colline, derrière le trou d’eau. Rohana se tourna vers Jaelle et commença à lui caresser doucement les cheveux.

— Jaelle, dit-elle tendrement. Ne pleure plus, ma chérie. Je sais que rien ne peut apaiser ton chagrin, mais il ne faut pas que tu te rendes malade à force de pleurer. J’ai juré que je serais une mère pour toi, toujours. Allons, ma chérie, regarde-moi, supplia-t-elle. Tu ne veux pas voir ton petit frère ? Il a besoin de quelqu’un pour l’aimer et le consoler, lui aussi. Toi, tu as eu ta mère pendant douze ans, Jaelle, ajouta-t-elle. Mais ce pauvre petit a perdu sa mère avant même qu’elle ait eu le temps de le regarder. Il n’a que sa sœur. Tu ne veux pas venir m’aider à le consoler ?

Jaelle s’écarta avec un violent frisson de répulsion. Ses sanglots s’amplifièrent et devinrent hystériques. Rohana, désespérée, la relâcha. La fillette n’avait pas prononcé une parole depuis la mort de sa mère. Rohana craignait qu’au cours des derniers instants qui restaient à vivre à Melora, partagée entre la terreur, l’épouvante et la peur de la mort, l’esprit de l’enfant n’ait été brutalement accessible à la terrifiante communication télépathique. Que son Don se soit éveillé lors de ces horribles moments de choc et d’angoisse.

Personne n’aurait pu blâmer Melora d’avoir cherché, dans un dernier éclair de conscience et dans une ultime tentative désespérée, à communiquer avec sa fille chérie de la seule façon pour laquelle il lui restait encore assez de force. Mais quel effet cela avait-il eu sur Jaelle ?

Comme s’il ressentait le malaise profond de Rohana, le bébé recommença à remuer, à s’agiter et à geindre à l’intérieur de la tunique. Elle le caressa, songeant au long chemin qui les séparait encore de Carthon où elles pourraient enfin trouver une nourrice pour l’enfant. Pour lui, c’était tout simplement une question de survie : pris en mains, nourri et bien soigné, il survivrait. Mais que dire de Jaelle ? Elle ne mourrait pas, mais qu’est-ce que le choc lui avait fait ? Seul, le temps le dirait.

Les Amazones peuvent peut-être lui être plus utiles que moi. Je fais encore partie de ce moment de terreur et de mort, dans son esprit. Peut-être les Amazones pourront-elles la consoler et l’aider. Elle devait s’en remettre à ces femmes jusqu’à ce que Jaelle soit calmée et ait retrouvé ses esprits, du moins. Après quoi… Rohana considéra avec une profonde envie les doux cheveux emmêlés de Jaelle, mais elle n’osa pas la toucher. Après cela, le temps seul déciderait…

La chaîne brisée
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